
Des pagodes dont le sommet se perd dans le ciel
il n’est pas nécessaire de laisser paraître les salles à la base
c’est comme s’il y avait-comme s’il n’y avait pas
soit le haut, soit le bas
Wang Wei
il n’est pas nécessaire de laisser paraître les salles à la base
c’est comme s’il y avait-comme s’il n’y avait pas
soit le haut, soit le bas
Wang Wei
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Présence-absence : les deux termes ne seraient plus à dissocier ; « être » ou « ne pas être » : la question, enfin, se dissoudrait. Se dissoudraient à la fois le vertige inspirant la métaphysique et le pathos auquel est en proie l’existence. Car la pensée européenne ne doit-elle pas une part de son originalité ou, disons mieux, de son historialité, en tout cas une part essentielle de son inventivité (celle qui la porte au sublime), à l’écart, et donc à la tension, qu’elle a creusés entre elles deux ? Présence/absence : elle a conduit la déchirure, avec acharnement, en exploitant passionnément la fécondité, jusqu'à l’abîme ; d’où elle s’est vouée au culte béatifique de la présence comme elle a développé une dramatique de l’absence. De la présence, de sa pénétration intime ou de son découvrement à distance, elle n’attend pas moins que le bonheur et la vérité, fait coïncider son règne avec la plénitude ; ne nous atteindrait-elle que par éclair, la présence illumine et comble : dans l’évènement du face-à-face se produit le miracle – ex-tase, ép-optie, par-ousie (« hors de soi » - « tourné vers » - « auprès »…). Pour autant, si la présence, en focalisant, accapare, c’est qu’une ségrégation s’est opérée au sein du disséminé et du diffus, qu’on a choisi d’ériger de l’ « être » hors du flux de l’indistinct et du confus, l’isolant, le circonscrivant et même le sertissant par son absence. De l’alternative apparue naît le tragique : comme, à partir de l’exclusion et du rejet, se condense et s’intensifie du désir. Puisqu’il n’est de « désir » que de ce « qui est absent », distingué et reconnu absent.
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Si le visible et l’invisible, le caché et le manifeste, sont les deux facteurs, coprésents et corrélés, entre lesquels se déploie, comme entre ses pôles, le procès de la peinture chinoise, c’est bien sûr que ce sont d’abord là, aux yeux des Chinois, les deux facteurs dont découle le grand Procès du monde, en quoi la peinture se branche directement sur ce que j’appellerai, forcé de laisser de côté le terme de métaphysique, la philosophie première des Chinois ; car il s’agit là de physique autant que de métaphysique, la séparation là non plus ne joue pas. Comme, au départ de tout réel, sont les facteurs yin et yang, à la fois opposés et complémentaires, et que de leur alternance naît la « voie », tao – « une fois yin, une fois yang » (« tantôt yin–tantôt yang »), selon la formulation canonique -, il revient au yang de promouvoir le « manifeste » , le rôle du facteur yang étant de déployer et d’ « étaler au-dehors » ; tandis que le « caché » est le yin, le rôle du facteur yin étant de « renfermer au-dedans la figuration ». Tel étant les termes de base sur lesquels la Chine n’a jamais varié, on peut commencer d’en déduire comment et pourquoi cet invisible auquel donne droit la peinture chinoise n’est pas un invisible métaphysique de l’ordre de l’intelligible, coupé du visible et d’une autre nature que lui (noeton/oraton) ; mais qu’il est la part de caché et d’enfoui, qui va de pair – comme à son envers – avec toute manifestation. En tant qu’ « intérieur », ce caché, dont le fond est sans fond, source de mystère et, par conséquent, d’attirance est ce qui, voilant la figuration d’absence, enrichit la présence en la libérant de sa stérilité, l’évase, la tend et la rend prégnante.
Si le visible et l’invisible, le caché et le manifeste, sont les deux facteurs, coprésents et corrélés, entre lesquels se déploie, comme entre ses pôles, le procès de la peinture chinoise, c’est bien sûr que ce sont d’abord là, aux yeux des Chinois, les deux facteurs dont découle le grand Procès du monde, en quoi la peinture se branche directement sur ce que j’appellerai, forcé de laisser de côté le terme de métaphysique, la philosophie première des Chinois ; car il s’agit là de physique autant que de métaphysique, la séparation là non plus ne joue pas. Comme, au départ de tout réel, sont les facteurs yin et yang, à la fois opposés et complémentaires, et que de leur alternance naît la « voie », tao – « une fois yin, une fois yang » (« tantôt yin–tantôt yang »), selon la formulation canonique -, il revient au yang de promouvoir le « manifeste » , le rôle du facteur yang étant de déployer et d’ « étaler au-dehors » ; tandis que le « caché » est le yin, le rôle du facteur yin étant de « renfermer au-dedans la figuration ». Tel étant les termes de base sur lesquels la Chine n’a jamais varié, on peut commencer d’en déduire comment et pourquoi cet invisible auquel donne droit la peinture chinoise n’est pas un invisible métaphysique de l’ordre de l’intelligible, coupé du visible et d’une autre nature que lui (noeton/oraton) ; mais qu’il est la part de caché et d’enfoui, qui va de pair – comme à son envers – avec toute manifestation. En tant qu’ « intérieur », ce caché, dont le fond est sans fond, source de mystère et, par conséquent, d’attirance est ce qui, voilant la figuration d’absence, enrichit la présence en la libérant de sa stérilité, l’évase, la tend et la rend prégnante.
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François Jullien, La grande image n'a pas de forme
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