.. Que la poésie soit un voyage aux confins du dehors ou jusqu’au plus intime du dedans, j’ai vécu en elle, dès le départ de mon entreprise, un dedans qui est tout ensemble un dehors, un dehors indissociable du dedans. J’ai ressenti toutefois que cet acte d’écriture m’exprimait moins qu’il ne désignait ce que je voulais exprimer de moi-même, et je n’ai pas varié dans mon sentiment depuis lors. La poésie, à mes yeux, complète l’homme, elle n’est en rien son image. Je n’avais aucun souci de créer une harmonie entre le monde et moi, mais j’avais toujours le regard fixé sur l’abîme qui se situe entre nous. Je n’ai donc pas écrit de poésie dans le dessin de combler cet abîme, mais comme errance au-dedans de lui et comme exploration. Bien que je sois requis par la recherche du sens, ou d’un sens, je devine que mon identité ne s’établit pas dans ce qui est stable, mais dans ce qui se meut. Je sens que je suis du côté du vent et de la houle.
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J’écris en arabe. Dans cette langue, la présence s’identifie à l’invisible. Le monde y est absent, quoique visible. L’homme, selon cette vision, est un état continuel d’absence. La vérité réside au sein de la langue en tant que dévoilement de l’essence du monde à travers les mots dont Dieu a fait usage. En ce sens, l’être lui-même y est une langue. Les vivants sont endormis, ils se réveilleront après la mort. Écrire la poésie, c’est s’attacher à dire une « chose », et cette « chose » en arabe est l’abîme même et l’invisible. Si la poésie a quelque pouvoir de fonder, elle fonde ici la présence de l’invisible. L’écriture, en arabe, enseigne seulement que la patrie n’est pas un lieu, qu’elle ne se situe nulle part. Elle enseigne qu’elle est elle-même la patrie. Elle m’a appris comment je pourrais dire : mon corps est mon pays.
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Adonis, Six notes du côté du vent
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