Il n’y a que les poètes qui aient senti ce que la Nature peut être pour l’homme, commença un bel adolescent ; les poètes, dont on peut dire encore ici, que l’humanité se trouve en eux dans sa résolution parfaite et qu’à travers leurs transparences de cristal et leur mobilité, pure en toutes ses variations infinies, chaque sensation se propage de tous côtés. Ils trouvent tout dans la Nature. À eux, à eux seuls, son âme ne reste point étrangère, et ce n’est pas en vain qu’ils cherchent, dans son amitié, toutes les félicités de l’Age d’Or. La Nature a pour eux toutes les changeantes humeurs d’un cœur immense, d’une âme infinie, et plus encore que l’homme le plus vivant et le plus spirituel, elle surprend par ses tours d’esprit et ses fantaisies, ses rencontres et ses détours, ses grandes idées et ses bizarreries. La richesse inépuisable de sa fantaisie ne laisse personne quêter en vain dans son amitié. Elle sait embellir tout, tout animer et vivifier, tout confirmer ; et même où, déparié, un mécanisme sans conscience et sans signification semble seul régner, l’œil qui regarde profond voit pourtant, dans les coïncidences et dans la suite des accidents isolés, une merveilleuse sympathie avec le cœur humain. Le vent est une émotion de l’air qui peut avoir maintes causes extérieures ; mais n’est-il pas, pour le cœur solitaire et gonflé de désir infini, n’est-il pas quelque chose de pur lorsqu’il souffle, venant d’une contrée bien-aimée, et qu’avec milles obscurs et mélancoliques soupirs il semble résoudre la muette souffrance en un profond gémissement mélodieux de toute la Nature ?
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Pour comprendre la Nature, on doit la laisser, intérieurement, se former selon sa propre logique, se développer en toute son intégrité. On doit, dans cette entreprise, ne se laisser déterminer que par le grand désir, la divine aspiration vers ces êtres qui nous ressemblent, et par les conditions qui nous sont nécessaires pour les entendre ; car la Nature toute entière ne se peut concevoir et comprendre que comme instrument d’accord et moyen d’intelligence, entre eux, pour des êtres doués de raison. L’homme, en pensant, retourne à la fonction originelle de son être, à la méditation créatrice ; il revient à ce point où créer et savoir se tiennent le plus merveilleusement embrassés l’un l’autre et en rapports réciproques, à ce moment, créateur entre tous, de la jouissance essentielle, de la profonde et intérieure auto-conception. Et si maintenant il se livre tout à fait à la contemplation de ce phénomène primordial, s’il s’y abîme tout entier, alors devant lui se déploie, comme un spectacle sans mesure dans un temps et dans un espace nouveau, l’histoire de la création de la Nature ; et chaque point qui s’arrête, se fixe dans la fluidité infinie, lui est une révélation nouvelle du génie de l’amour, un nouveau mariage du toi et du moi. La description faite avec soin de cette histoire du monde, intérieurement, est la véritable théorie de la Nature ; par la liaison en soi et la continuité de son monde spirituel, et par son harmonie avec l’Univers, se dessine de soi-même un système de pensée qui se fait l’image exacte et la formule de l’Univers. Mais l’art est difficile, de cette calme considération, de cette contemplation créatrice du monde ; sa pratique exige une grave méditation incessante et une sévère sobriété ; et la récompense n’en sera point l’applaudissement de ses contemporains, qui ont peur de la difficulté, mais seulement la joie de savoir et de veiller, la joie d’un intime contact avec l’Univers.

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Novalis, Les disciples à Saïs
pour Lionel André (α) , naturellement !
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