Il n'y a d'infini que par l'activation du fini. C'est le fini la pierre d'angle et c'est lui, et lui seul, qui supporte le poids très lourd de nos grandes, de nos vastes mythologies. Fatigué d'être contraint par nos pierres, soudain il fuse et s'envole d'un trait comme l'oiseau des ruines. L'activation du fini est notre fait et notre faix quotidiens, nous qui sommes des bûcherons du réel, des forgerons de métaux pauvres. Avec des bras en bois et des bustes de fer, on ne peut espérer s'évader vers les nuages. Nos yeux seuls voyagent pour nous. Ils vont, éclairés par le soleil ou illuminés par la nuit quand leurs paupières à la fin sont de velours, là où jamais, jamais, nous n'irons. Ils ont des affinités avec l'oiseau, des connivences avec le ciel, ils ont des réseaux qui s'abouchent avec l'infini. Mais ils veulent bien, nos yeux, par compassion d'amour, ne pas nous quitter, et continuer, eux princes, à nous servir : à regarder à notre place, à pleurer, s'il le faut, à notre place. Mais ils savent aussi que c'est, entre eux et nous, un pacte de vérité définitif par qui nous nous perdrons ensemble ou par qui, ensemble, nous nous sauverons. C'est pourquoi c'est avec tranquillité que nos yeux contemplent l'horizon, ce cercle vacillant autour de notre condition, cercle dont la seule issue est par le centre, point fort du réel où vient s'enraciner l'infini.
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Salah Stétié, L’Infini
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