Dehors, il y a le monde, les pères, les lois, les armées, les registres sur lesquels inscrire ton nom, la circoncision qui te donnera l’appartenance à un peuple. Dehors, il y a une odeur de vin. Dehors, il y a le campement des hommes. Ici, il n’y a que nous, une chaleur à l’abri de bêtes nous enveloppe et nous sommes à l’abri du monde jusqu'à l’aube. Puis ils entreront et toi tu ne seras plus à moi.

Mais tant que dure la nuit, tant que la lumière d’une étoile errante est à pic sur nous, nous sommes seuls au monde. Nous pouvons nous passer d’eux, même de ton père Iosef qui est le meilleur des hommes. Imagine : nous sortons d’ici à l’aube du jour et dehors plus rien n’existe, ni villes ni êtres humains. Imagine : nous sommes seuls au monde. Quel bonheur ce serait, aucune obligation à part vivre. Tant que dure la nuit, c’est ainsi.

Habitue-toi au désert, qui n’est à personne et où l’on est entre terre et ciel sans l’ombre d’un mur, d’un enclos. Habitue-toi au bivouac, apprends la distance qui protège des hommes. Le désert n’est pas un exil, il est ton lieu de naissance. Tu ne viens pas d’une sueur d’étreintes, d’aucune goutte d’homme, mais du souffle sec d’une annonce. On ne se fiera pas à toi, tel que tu es fait.
Puisse-tu éprouver de la nostalgie pour cette nuit quand tu seras dans leur assemblée, quand ils t’écouteront, puisses-tu regarder au-delà de leur place, là où commencent les pistes.
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Habitue-toi au désert qui m’a transformée en mère pour toi. Tu es venu de là, du vide des cieux, fils d’une comète qui s’est abaissée jusqu'à ma hauteur. Ce n’est pas le recensement qui nous a déplacés, mais une route tracée là-haut dans le ciel. Cette nuit, je le comprends, demain je l’aurais oublié.
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Erri de Luca, Au nom de la mère
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