Dans l'ordre de la matière, au niveau du fonctionnement, on peut établir des théorèmes ; dans l'ordre de la vie, toute unité est toujours unique. Comment ne pas ajouter ici que si chacun est unique, c'est dans la mesure où tous les autres le sont aussi. Si j'étais le seul être unique, et si tous les autres étaient identiques, je ne serais qu'un échantillon bizarre, bon à être exposé dans la vitrine d'un musée. L'unicité de chacun ne saurait se constituer, s'affirmer, se révéler à mesure, et finalement prendre sens que face aux autres unicités, grâce aux autres unicités. Là est la condition même d'une vie ouverte. C'est bien à cette condition qu'elle ne risque pas de s'enfermer dans un narcissisme mortifère. Toute vraie unicité sollicite d'autres unicités, n'aspire qu'à d'autres unicités.


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Nous nous rendons à cette évidence que l'unicité de l'instant est liée à notre condition de mortels ; elle nous la rappelle sans cesse. C'est la raison pour laquelle la beauté nous paraît presque toujours tragique, hantés que nous sommes par la conscience que toute beauté est éphémère. C'est aussi l'occasion pour nous de souligner d'ores et déjà que toute beauté a précisément partie liée à l'unicité de l'instant. Une vraie beauté ne saurait être un état figé perpétuellement dans sa fixité. Son advenir, son apparaître-là, constitue toujours un instant unique ; c'est son mode d'être. Chaque être étant unique, chacun de ses instants étant unique, sa beauté réside dans son élan instantané vers la beauté, sans cesse renouvelé, et chaque fois nouveau.


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En tant que présence, chaque être est virtuellement habité par la capacité à la beauté, et surtout par le “désir de beauté”. À première vue, l'univers n'est peuplé que d'un ensemble de figures ; en réalité, il est peuplé d'un ensemble de présences. Je suis près de penser que chaque présence, qui ne peut être réduite à rien d'autre, se révèle une transcendance. Pour ce qui est plus spécifiquement de la figure humaine, j'aime et fais mienne cette pensée de Henri Maldiney ; “De chaque visage humain rayonne une transcendance impossessible qui nous enveloppe et nous traverse. Cette transcendance n'est pas celle d'une expression psychologique particulière, mais celle qu'implique, en chaque visage, sa qualité d'être, sa dimension métaphysique. Elle est la transcendance de la réalité s'interrogeant en lui et réfléchissant en lui, et dans cette interrogation même la dimension exclamative de l'Ouvert.”
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