L'oeil du jour risque un regard curieux à travers les fenêtres qu'obstruent à demi les rideaux. Oh ! il voudrait voir plus loin, jusqu'au milieu de ce coeur, qui tremble et frémit au plus profond, plus chaud que la lumière, plus obscur que le soir, plus ému que les voix qui viennent de loin, comme un grave bourdon que l'on fait sonner quand menace l'orage.

Et j'implore un orage. La voix des cloches n'attirent-elle pas les éclairs ? Eh bien ! approche, cher orage ! lave, purifie, fais pénétrer des parfums de pluie dans mon être desséché. Sois le bien venu ! sois enfin le bien venu !

Et voici, premier des éclairs, que tu frappes mon coeur en son milieu ; il en sort une longue trainée de brume pâle. La reconnais-tu, cette traîtresse morose ? Déjà mon oeil est plus clair, ma main se tend vers elle pour la maudire. Et le tonnerre gronde, et une voix a proféré : “Sois purifié.”

Lourde atmosphère. Mon coeur se gonfle. Rien ne bouge. Mais voici un souffle léger, l'herbe frémit - sois la bien venue, pluie, toi qui adoucis, toi qui sauves ! Tout est ici sec, vide, mort ; jette des graines nouvelles.

Voici que la foudre frappe encore de la pointe aiguë et du double tranchant, juste au milieu du coeur. Et une voix a proféré : “Espère !”

Un doux parfum monte du sol ; un coup de vent, et voici la tempête qui hurle et réclame son butin ; elle pousse devant soi les fleurs qu'elle a brisées. Une pluie jubile à sa suite.

Frappez en plein coeur ! tempête et pluie ! éclair et tonnerre ! en plein coeur ! Et une voix a proféré : “Sois renouvelé.”



Friedrich Nietzsche, Premiers écrits
traduit par Jean-Louis Backès
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