L'expérience du désert a été, pour moi, dominante. Entre ciel et terre, entre le Tout et le Rien, la question est brûlante. Elle brûle et ne se consume pas. Elle brûle pour elle-même, dans le vide. L'expérience du désert, c'est aussi l'écoute, l'extrême écoute. Non seulement on entend ce que l'on ne pourrait entendre ailleurs, le vrai silence cruel et douloureux parce qu'il semble reprocher même au coeur de battre ; mais, également, lorsqu'on est couché, par exemple, sur le sable, il arrive que, tout à coup, un bruit insolite nous intrigue ; un bruit comme celui d'un pas humain ou d'un animal, plus proche à chaque instant, ou qui s'éloigne, ou qui paraît s'éloigner, alors qu'il suit sa route. Un long moment après, si l'on se trouvait bien dans sa direction, surgit de l'horizon l'homme ou la bête que notre ouïe avait annoncé. Le nomade avait su identifier cette "chose vivante" avant de la voir ; immédiatement après que l'oreille l'a perçue. C'est que le désert est son lieu naturel.

J'ai, comme le nomade son désert, essayé de circonscrire le territoire de blancheur de la page ; d'en faire mon véritable lieu ; comme, de son côté, le juif qui, depuis des millénaires, du désert de son livre, a fait le sien ; un désert où la parole, profane ou sacrée, humaine ou divine a rencontré le silence pour se faire vocable ; c'est-à-dire parole silencieuse de Dieu et ultime parole de l'homme.

Le désert est bien plus qu'une pratique du silence et de l'écoute. Il est une ouverture éternelle. L'ouverture de toute écriture, celle que l'écrivain a, pour fonction, de préserver.

Ouverture de toute ouverture.


Edmond Jabès, Le Livre des ressemblances [t.II]
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