Lorsque vous arrivez au Sahara, pour la première ou la dixième fois, vous remarquez immédiatement la paix qui y règne. Un silence absolu, incroyable, prédomine à l'extérieur des villes. Et à l'intérieur, même dans des lieux agités comme les marchés, l'air a quelque chose d'assourdi, comme si le calme était une force consciente qui, refusant l'intrusion du bruit, le réduit et le dissipe aussitôt. Et puis, il y a le ciel, à côté duquel tous les autres ciels ne sont que de pâles essais. Solide, et lumineux, il est toujours le point central du paysage. Au couchant, l'ombre incurvée, précise, de la terre monte rapidement de l'horizon, y découpant une zone claire et une zone sombre. Quand toute la clarté du jour a disparu, et que l'espace est rempli d'étoiles, le ciel est toujours d'un bleu brûlant, intense, très foncé au zénith, et plus clair en direction de la terre, si bien que la nuit ne devient jamais vraiment noire.

Vous franchissez la porte du fort ou de la ville, vous dépassez les chameaux couchés à l'extérieur, et vous montez dans les dunes, ou bien vous vous éloignez vers la plaine dure, pierreuse, et vous restez un moment, seul. Bientôt, soit vous frissonnez et retournez en toute hâte à l'intérieur des murs, soit vous restez là, et vous vous laissez gagner par quelque chose de très particulier, que ceux qui vivent dans cette région connaissent, et que les Français appellent le baptême de la solitude. C'est une sensation unique, qui n'a rien à voir avec le sentiment d'être seul, car il présuppose une mémoire. Ici, dans ce paysage entièrement minéral, éclairé par les étoiles comme par des feux, même la mémoire disparaît ; il ne reste que votre respiration et les battements de votre coeur. Un processus de réintégration de soi étrange, qui n'a rien d'agréable, commence en vous, et vous avez le choix entre le combattre et tenir à rester la personne que vous avez toujours été, ou bien lui laisser libre cours. Car personne, après un certain temps au Sahara, n'est plus tout à fait le même.


Paul Bowles, Le baptême de la solitude
in Leurs mains sont bleues, traduit par Lilliane Abensour
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