Notre temps manque singulièrement d'espace et de respiration.

Les grands cheminements critiques d'hier ayant été réduits à des “discours de maître” ou à des pratiques réductrices, la nouveauté a consisté à les rejeter en bloc. Il en résulte une morosité massive (bon terrain pour des accès d'irrationalité), une régression idéologique, un cynisme ricanant (ou son contraire, une sentimentalité excessive), une infantilisation socio-culturelle, la ruée écervelée vers toutes sortes de mécanismes, des tactiques à court terme et une littérature sans ouverture.

L'esprit étouffe.


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Depuis quelques années, le mot “nomade” est dans l'air. D'une manière vague, mais qui ne demande qu'à se préciser, il désigne un mouvement qui s'amorce vers un nouvel espace intellectuel et culturel. Mais dans nos cultures médiatisés, chaque mot, immédiatement sous-traduit, devient prétexte à une mode. Ce dont il est question ici n'est pas une affaire de mode, mais de monde.

Nietzsche constatait la mort de Dieu, Foucault annonçait la mort de l'Homme. Le nomade est celui qui, sans lamentation, prend son départ dans cette situation extrême et qui, contournant le domaine des sous-dieux et des sur-hommes, traversant le neutre, s'aventure dans un champ de forces inédit, le long de plages insolites.

Ce cheminement, qui s'accomplit en dehors de la théo-ontologie et des sciences humaines, laisse loin en arrière le discours culturel habituel. Parlons plutôt d'investigations, modo peregrino, dans le champ méditatif et difficilement créatif qui surgit à la fin de la modernité.

Il rôde, certes, dans ces pages un désir de savoir. Mais le savoir qui nous importe aujourd'hui ne se limite pas à un cadre formel. Il est diffus, dispersé. C'est pour cela qu'il est question d'esprit nomade, et de cartographie : de (nouvelles) co-ordonnées, de (nouvelles) corrélations, de liaisons diverses et parfois, sans doute, dangereuses.


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Le nomade, c'est aussi celui qui quitte l'autoroute de l'histoire, ainsi que les cités pathogènes qui la jalonnent, et qui s'enfonce dans un paysage où il n'y a parfois plus de chemins, plus de sentiers, tout au plus des tracés. Il faut qu'il s'invente une géographie et, plus fondamentalement, cette densification de la géographie que j'ai appelée géopoétique.
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