La parole émerge du silence de toutes les autres et ce silence c'est, également, le désert.

Si j'avais à définir la parole de mes livres, je dirais qu'elle est parole des sables - de sable - un bref instant audible, visible : parole d'une écoute extrême et d'une mémoire très ancienne.

L'expérience du désert est, à la fois, celle du lieu de la Parole - où elle est souverainement parole - et celle du non-lieu où elle se perd à l'infini. De sorte que nous ne savons jamais si c'est au moment où elle surgit que nous la captons ou bien au moment où, avec une incroyable lenteur, elle s'évanouit : le moment éblouissant de son surgissement ou celui de son insensible évanouissement.

Et, peut-être, n'entendons-nous jamais qu'une parole à sa fin parce qu'il n'y a pas de commencement qui n'ait, en soi, connu son terme ; comme si la parole, pour être totalement saisie, se devait de témoigner aussi du trajet parcouru par elle de la naissance à la mort : du néant qu'elle illumine en émergeant au néant que, dans sa chute, elle rejoint.

Créer, en ce cas, ne serait que donner à voir la naissance et la mort de l'objet. Nous ne parlons, nous n'écrivons que pour l'instant. La durée ne nous appartient pas.


Edmond Jabès, Le Livre des marges [t.II]
signe amical à L.A.
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