Voici, déjà pour toi, une possibilité d'aborder le lieu. À chaque mouvement, tu déplaces une frontière. Rien ne peut être cerné définitivement. Tu te joues des pièges. À moins que le piège ne soit l'univers. Tu lèves un bras, tu violes un nouvel espace. Tu tournes la tête ou risques un pas en avant, tu n'es plus dans le même infini.

C'est alors que parle le désert et cette parole est inaudible parce que trop vaste. C'est alors que tu tentes de parler pour le désert, mais ta parole est sans portée. Aussitôt prononcée mentalement, elle est annihilée. Tout le sable est dans ta bouche ; le néant, dans ton regard. Il n'y a de bornes qu'en toi. Elles sont lignes de silence le long desquelles, comme l'équilibriste sur sa corde, la pensée redoute, à la moindre défaillance, de basculer dans le vide.

... c'est cette pensée si menacée qui nous conduit de livre en livre, de gageure en gageure...

Dieu se grise de la vulnérabilité de cette pensée.


Edmond Jabès, Le Livre des ressemblances [t.II]
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