J'ai vu mon Seigneur avec l'oeil du coeur, et Lui dis : « Qui est-Tu ? » Il me dit « Toi ! » Mais, pour Toi, le « où » n'a plus de lieu, le « où » n'est plus, quand il s'agit de Toi ! Et il n'y a pas pour l'imagination d'image venant de Toi, qui lui permette d'approcher où Tu es ! Puisque Tu es Celui qui embrasse tout lieu, jusqu'au-delà du lieu, où donc es-Tu, Toi ?

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« Ah ! » : est-ce moi, est-ce Toi ? Cela ferait deux dieux. Loin de moi, loin de moi la pensée d'affirmer « deux » ! Il y a une ipseité tienne, au fond de mon néant pour toujours, et mon tout, par-dessus toutes choses, s'équivoque d'un double visage. Où donc est Ton essence, hors de moi, pour que j'y voie clair ? Mais déjà mon essence s'élucide, au point qu'elle n'a plus de lieu. Et où retrouver Ton visage, objet de mon double attrait, au nadir de mon coeur ou au nadir de mon oeil ? Entre moi et Toi, il y a un « c'est moi » qui me tourmente, ah ! enlève par Ton « c'est Moi », mon « c'est moi » hors d'entre nous deux !

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Ô conscience de ma conscience, qui Te fais si ténue, que Tu échappes à l'imagination de toute créature vivante ! Et qui, en même temps, et patente et cachée, transfigures toute chose, par-devers toute chose ! Si je m'excusais, envers Toi, ce serait (arguer) de mon ignorance (de Ton ubiquité), de l'énormité (coupable) de mon doute (sur notre union), de l'excès de mon bégaiement (alors que Tu m'as pris pour porte-parole). Ô Toi, qui es la Réunion du tout, Tu ne m'es plus « un autre », mais « moi-même » ! Mais quelle excuse, alors, m'adresse-je, à moi ?

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Ton Esprit s'est emmêlé à mon esprit, comme l'ambre s'allie au musc odorant. Que l'on Te touche, on me touche ; ainsi, Toi, c'est moi, plus de séparation.


Husayn Mansûr Hallâj, Diwan
traduit par Louis Massignon
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