pour Didier da Silva


Et de la hauteur majestueuse de tous mes rêves – me voici aide-comptable en la ville de Lisbonne.

Mais le contraste ne m’écrase pas – il me libère ; son ironie même est mon propre sang. Ce qui devrait me rabaisser est précisément le drapeau que je déploie ; et le rire dont je devrais rire de moi-même est le clairon dont je salue et crée l’aurore où je m’engendre moi-même.

Quelle gloire nocturne que d’être grand, sans être rien ! Quelle sombre majesté que celle d’une splendeur inconnue... Et j’éprouve soudain ce qu’a de sublime le moine dans son désert, l’ermite coupé du monde, conscient de la substance du Christ dans les pierres et dans les grottes de son complet isolement. Et, assis à ma table, dans cette chambre, je suis moins minable, petit employé anonyme, et j’écris des mots qui sont comme le salut de mon âme, l’anneau du renoncement à mon doigt évangélique, l’immobile joyau d’un mépris extatique.




Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquilité
traduit par Françoise Laye



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