Jusqu'à présent je n'ai pu trouver une définition du cinéma. Si l'on considère que le cinéma a le devoir de raconter des histoires, il me semble que le roman le fait bien mieux. Les pièces radiophoniques, les feuilletons télévisés s'en acquittent aussi. Je pense à un autre cinéma qui rend plus exigeant et que l'on définit comme le septième art. Dans ce cinéma, il y a de la musique, de l'histoire, de la réverie, de la poésie. Mais tout en incluant cela, je pense qu'il reste un art mineur. Je me demande, par exemple, pourquoi la lecture d'un poème excite notre imagination et nous invite a participer à son achèvement. Les poèmes sont sans doute créés pour atteindre une unité malgré leur inachèvement. Quand mon imagination s'y mêle, ce poème devient le mien. Le poème ne raconte jamais une histoire, il donne une série d'images. Si j'en possède les codes, je peux accéder à son mystère.

Pour la même raison, un poème auquel je n'ai rien compris il y a dix ans, je peux m'y attacher aujourd'hui. Je pense aux poèmes mystiques de Mowlânâ Rûmi que mon père lisait quand j'étais enfant et que nous supportions parce qu'il était le père. Je les ai relus il y a dix ans, je le relis aujourd'hui et j'y trouve un autre sens qui m'avait échappé. J'ai rarement vu quelqu'un dire à propos d'un poème : je ne comprends pas. Mais au cinéma, dès que l'on n'a pas saisi un rapport, un lien, il est fréquent de dire que l'on n'a pas compris le film. Or l'incompréhension fait partie de l'essence de la poésie. On l'accepte comme telle. De même pour la musique. Le cinéma est différent. On aborde un poème avec ses sentiments, et le cinéma avec sa pensée, son intellect. On n'est pas censé pouvoir raconter un bon poème, alors qu'on est censé le faire pour un bon film quand on est au téléphone avec un ami. Je pense que si le cinéma doit être considéré comme un art majeur il faut lui accorder cette possibilité de ne pas être compris. À différents moments de la vie, un film peut nous laissser différentes impressions.

Or le cinéma est devenu de plus en plus un objet, un instrument de divertissement qu'il faudrait voir, comprendre et juger. Si on le considère vraiment comme un art, son ambiguïté, son mystère sont indispensables. Une photo, une image peut avoir un mystère, car elle donne peu, ne se décrit guère. Une image ne se représente pas, ne se donne pas en représentation mais annonce sa présence, invite le spectateur à la découvrir.


Abbas Kiarostami, conversation avec J-L. Nancy



K on making Five


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