magnum gallery, paris


Kiarostami prononce fermement, avec une douceur opiniâtre : vous avez déjà cent ans de cinéma dans les yeux, dans l'habitus ou dans l'ethos. Il est planté dans votre culture - je veux dire, dans vos façons de vivre - aussi bien que l'olivier dont on ne connaît même pas l'état sauvage ou que les autres arbres que j'aime à filmer ou à regarder. Vous n'en êtes plus à découvrir et à vous étonner comme des enfants devant la lanterne magique. Vous avez déjà composé puis décomposé une abondance de genres et de mythes du cinéma. Vous avez modulé de bien des manières son rapport au réel et à l'illusion, à l'histoire, au rêve ou à la légende, ses techniques d'image, de filmage, de tournage et de montage. Avec l'usage et le temps, vous avez parcouru toutes ses possibilités de représentation. Mais ainsi vous avez dégagé, peu à peu, une posibilité de regard qui n'est plus exactement un regard sur la représentation, ni un regard représentatif.

Voici un cinéma qui énonce, avec puissance et retenue, avec grâce et sévérité, une nécessité de regard et d'usage du regard. Non pas une nouvelle problématique de la représentation qui viendrait s'ajouter à celles qui ont jalonné, à juste titre, l'histoire du cinéma, mais plutôt une axiomatique du regard : l'évidence et la certitude d'un regard cinématographique comme égard pour le monde et pour sa vérité.


Jean-Luc Nancy, L'évidence du film

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.