Que savons-nous après tout de cette « matière » terrible
en dehors du fait que c'est un mot
pour la cause inconnue et hypothétique
des états de notre conscience
...
ici dans la lumière brillante, où le mandala est presque complet
la circonférence d'un diamant aveuglant
brisé seulement
par quelques points, quelques traits d'obscurité
...
j'ai fini par réaliser le corps de diamant


La situation physique est celle d'une marche (après visite d'un laboratoire marin ? - où l'auteur inspecte un morceau d'algue sous le microscope) le long du rivage d'une île, suivie d'une méditation dans une caverne. Le discours est en grande partie scientifique, MacDiarmid restant convaincu de la nécessité de passer par la science, tout en se rendant bien compte que la science n'est pas le dernier mot :

Nous savons aujourd'hui
ce que sont la chaleur, le poids, le bruit
du moins nous en avons une seconde interprétation
l'interprétation scientifique
je sais maintenant qu'au-delà de celle-ci
il y en a une autre, d'autres
mais l'inteprétation scientifique
a transformé puissamment l'esprit humain
et provoqué le changement typologique
le plus radical de l'histoire
à sa façon, la littérature
doit suivre le même cours


En fait, ce qui l'intéresse, ce qui le préoccupe, c'est la « transformation de l'esprit humain », un changement, non pas seulement de savoir, mais d'être : une révolution ontologique. Le discours scientifique est donc prolongé par des références à des pensées et des pratiques orientales. Il est question de Guadapada, du tao et du mandala, avec référence en note au texte chinois le Secret de la Fleur d'Or :

« Dans le Secret de la Fleur d'Or, des symboles ayant la forme de mandalas sont présentes. Mandala signifie cercle, spécifiquement "cercle magique"... Magique, parce que la figure protectrice du cercle englobant est censée empêcher tout "épanchement", c'est-à-dire, empêcher la conscience d'être éclatée par l'inconscient, ou par des systèmes psychiques partiels - des complexes séparés du tout. En même temps, le mandala donne forme à la transformation de la sensation intérieur, telle que Paul la conçoit quand il renconnaît que "ce n'est pas moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi" - le Christ étant ici le symbole du fait mystique de la transformation. La conversion intérieure, l'assomption d'une individualité unique, est décrite par les Chinois comme la production du "corps de diamant", ou du "fruit sacré". »

Il faudrait cerner d'un peu plus près cette notion de mandala.

S'il trouve sa place dans la littérature taoïste, le Secret de la Fleur d'Or est un ouvrage syncrétique, traversé par des influences yogiques, bouddhiques et tantriques. Le terme de « corps de diamant » est tantrique (vajrakaya) et désigne le but de la pratique tantrique du Vajrayana (véhicule du diamant). Quant au mandala, qui est l'espace (« sacré ») dans lequel cette pratique a lieu, Tucci préfère dire, à la place de « cercle magique », qui reste vague : « psycho-cosmogramme », qui indique mieux de quoi il s'agit.

Il s'agit de relier la « psyche » au « cosmos », de faire coïncider le moi individuel avec le moi universel. Or, si la réalité est une (et MacDiarmid n'a cessé d'affirmer une unité-dans-la-diversité, le moteur de sa poésie étant la vision d'une forme universelle), on ne peut la connaître qu'en s'intégrant à cette unité, en s'y mêlant.



Kenneth White, L'Esprit nomade


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