L'Aimé

17

J'ai atteint le désert où l'amour se fait apparition
Tout ce qui allait impur y trouve l'absolue pureté.

Quelle valeur accorder au corail, mis en regard de l'âme ?
Mais vois, toi que voici, un soleil, quel il paraît à un atome !

Des miliers de serrures et chaque serrure est à la dimension du ciel.
La clé qui les ouvre toutes est en trois lettres dentelée.

Le coeur est clair comme une tablette, plongé dans cet océan de sang
Il est devenu un guerrier après avoir été cent fois martyr.

Je suis l'esclave des vagues de cette mer,
tout ensemble la fête et la gorge où l'on porte le couteau.
Je suis l'esclave d'un poisson qui vit de cet océan.

Chaque goutte s'en donne une forme précise
Sois bien sûr que son nom sera Jonayd ou Bâyazîd.

Entre, ô mon âme et fais tes ablutions dans cet océan sans limite
Où d'une goutte purifiante, milles grâces, mille visions surgissent.

Les vaisseaux sont mis en péril à la crête des vagues sur toutes les mers
Dans les flots de cet océan de bonheur, ils trouvent leur bonance.

Au gnostique, à l'amant chaque heure est d'exaltante joie :
C'est qu'ils n'attendent pas tout l'an les jours de la fête.


22

Être dans la maison du chagrin est d'un courage médiocre
Et dans le coeur de vil courage comment seraient tes mystères ?

Par tout ce que tu trembles, sache ce que tu vaux.
C'est pourquoi le coeur de l'amant est supérieur au trône.

Celui qui tu sais être la guérison, c'est de lui qu'est ta douleur.
Et cela que tu nommes loyauté, c'est la fourberie, le sortilège.

Là où est venu l'amour, où l'âme trouverait-elle place ?
Où chaque raison s'envolera-t-elle ? Là où est la folie !

Le Sîmorgh du coeur de l'amant, dans le filet où se tient-il ?
Le vol d'un tel oiseau excède tout mode d'être.

Autour des être vils, comme la roue tourne le coeur ténébreux.
Ce coeur qui tourne ainsi, quel repos sera le sien ?

Apporte la coupe du vin de Moise, Soleil du Réel de Tabrîz
Afin qu'eau devienne chaque Nil qui s'est ensaglanté.

31

J'étais mort, je suis vivant ; j'étais larmes, je suis rire.
La fortune d'amour est venue et moi je suis permanente fortune.

La vue pour moi n'a plus rien à désirer, l'âme en moi est intrépide.
Il m'est donné le courage du lion, je suis la Vénus éclatante.

Il déclara : tu n'es pas fou, tu ne mérites pas cette demeure.
Je m'en suis allé devenir fou, je serai lié de chaînes.

Il déclara : tu n'es pas ivre, va-t'en, tu n'es pas de la partie.
Je m'en suis allé et je suis devenu ivre, je suis rempli de joie.

Il déclara : tu n'as pas été tué, tu n'as pas macéré dans la joie.
Devant son visage, offrande de vie, je fus tué et déjeté.

Il déclara : tu es le flambeau, tu es l'orientation pour ce groupe assemblé.
Je ne suis aucun rassemblement, je ne suis pas flambeau, je suis noire fumée éparse.

Il déclara : tu es le maître et la tête, tu montres la voie.
Je ne suis pas le maître, je ne suis pas en tête, je suis l'esclave à tes ordres.

Il déclara : tu es doté d'ailes et de plumage et moi je ne te donne ni aile ni plumage.
En désir d'ailes et de plumages qui soient de lui, je suis privé de plumage.

La fortune nouvelle me déclara : ne chemine plus, ne te fatigue pas,
Car moi, par grâce et pur don, je suis celle qui vient vers toi.

L'ancien amour m'a déclaré : ne te transporte pas loin de nous.
J'ai dit : je ne m'en déporte pas, je suis au repos, dans l'être à résidence.

Tu es la source du soleil et je suis l'ombre qui tombe sous le saule.
Puisque tu m'as à la tête frappé, je suis là à me consumer.

Mon coeur a trouvé la lumière de l'âme, mon coeur s'ouvrit et se déchira.
Mon coeur est tissu de satin neuf, je suis ennemi de cette guenille.

La forme de l'âme, à l'aube, se vanta d'insolence :
J'étais serviteur, au service des ânes, je suis roi et tout-puissant,

Il rend grâce, ton papier, de ce sucre qui est toi, sans limite.
Comme il est venu vers moi, je suis à sa semblance.

Elle rend grâce, la poussière triste, pour la sphère céleste et le firmament circulaire.
Je le contemple et il tournoie : j'accueille la lumière.

Il rend grâce, le firmament, pour le roi, le royaume et l'ange.
Par sa générosité et sa liberalité, je suis lumineux et généreux.

Il rend grâce, celui qui sait le Réel, car nous avons préséance sur tout.
Par-delà les sept cieux, je suis astre éclatant de lumière.

J'étais Vénus, je suis la Lune, le firmament aux deux cents plis.
J'étais Joseph, je suis maintenant celui qui donne la vie, à Joseph.

Par toi je suis, ô Lune fameuse. Jette ton regard en moi, en toi-même.
Car sous l'effet de tes rires, je suis devenu la riante roseraie.

Sois comme les pièces aux échecs, qui vont et qui se taisent, et sois tout entier parole
Car moi, de la tour du roi de l'univers, j'ai reçu bon présage et bonne chance.


Jalâloddîn Rûmî (1207-1273), Soleil du Réel
(traduction de Christian Jambet)






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