Conciliateur, toi que l’on n’a jamais cru,
Désormais te voici, sous cette forme amie que pour moi
Tu as prise, ô Immortel, mais fort bien
Je reconnais la haute présence
Qui me fait fléchir le genou
Et, presque en aveugle, il me faut
Te demander, céleste messager, pourquoi tu viens à moi ;
D’où est-tu, Paix bienheureuse !
Une seule chose je sais : tu n’a rien de mortel,
Car maintes choses, un Sage ou
L’un des amis au regard fidèle peut vous les éclaircir, mais lorsque
Un Dieu parait, voici que sur le ciel et la terre et la mer
Vient une clarté qui tout renouvelle.
Le poème définitif, lui, s’ouvre sur la célébration du lieu où la fête se déroule :
Hölderlin, dès ce debut, place l'évènement dans une nature, magnifiée sans doute par l’imagination, mais parfaitement concrète, aussi éloignée que possible de la nature abstraite des philosophes – tout particulièrement de ceux qui tentent d’analyser le sentiment de la nature dans la poésie hölderlinienne.
Pour Hölderlin, la nature, c’est bien l’univers dans sa totalité et, parfois même, un univers purement matériel. Mais Fête de paix nous permet de toucher du doigt l’éclatement de la notion de matière chez son auteur.
Cette nature, en effet, déjà magnifiée par l’imagination du poète, voici que l’arrivée du « Prince de
Et, le regard commençant à s’éclaircir, je pense déjà
Le voir lui-même, souriant de la grave tâche du jour,
Le Prince de
Cependant, bien que déjà tu renies volontiers ton pays d’ailleurs
Et que fatigue de ta longue marche héroïque,
Tu baisses le regard, oublieux, légèrement ombré
Et prennes une forme amie, toi, connu de tous, pourtant
Presque me fait fléchir le genou la haute Présence. Rien, face à toi
Je ne sais, sinon une seule chose : tu n’a rien d’un mortel.
Un Sage pourrait m’éclaircir beaucoup de choses, mais où
Un Dieu même encore apparaît,
Là, pourtant, est une autre clarté.
Cette clarté est telle qu’il n’est même plus besoin d’énumérer toutes les splendeurs de la nature pour la célébrer : elle permet de les embrasser toutes d’un seul regard. Alors que, dans la première ébauche du poème, Hölderlin éprouvait le besoin de nommer les lieux sur lesquels se posait cette clarté rayonnante, il lui suffit à présent de dire qu’ « elle est là ». Il sacrifie l’énumération, certes toute simple, mais d’un ton magnifiquement solennel, des divers lieux qui la réfléchissaient : ce qui compte avant tout, maintenant, c’est de trouver l’expression la plus appropriée à l’ « Un-Tout » qui le hante – de cette totalité qu’il s’agit d’atteindre, mais que l’on ne peut rejoindre qu’en traversant la nuit de l’absence des dieux – de cette nuit qui est, elle aussi, un moment de la vie du monde, l’un des visages qu’il faut savoir contempler, de la nature.
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André Alter, Hölderlin : le chemin de lumière (extrait) , 1992
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