Tu as, en moi, suscité le noble besoin
D'aller loin voir le monde au profond de son âme ;
Avec ta main me tient une confiance aussi,
Qui me garde sans crainte à travers les tourmentes.
Par des pressentiments tu as instruit l'enfant,
Parcouru avec lui des régions fabuleuses ;
Modèle pur de l'exquise féminité,
Comme tu l'exaltas, son cœur adolescent !
Qui y aurait-il pour m'attacher au joug terrestre ?
Ne sont-ils pas à jamais tiens, mon cœur, ma vie ?
N'ai-je pas ton amour, ici, qui me protège ?
C'est pour toi que je puis me vouer au bel art
Puisque tu veux, ma bien-aimée, être la Muse,
Le doux gardien et l'esprit de ma poésie.
Éternelle ici-bas dans ses métamorphoses
La puissance secrète du Chant nous salue ;
Tandis qu'ici, sur nous, ruisselle sa jeunesse,
Là c'est sa sainte paix qui vient bénir la terre.
La lumière c'est elle, en nos yeux épanchée,
Qui, pour chacun des arts, éclaire en nous le sens ;
Elle qui donne au cœur joyeux, à l'âme lasse
Son ivresse miraculeuse à savourer.
C'est la vie à son sein somptueux que j'ai bue ;
Et tout ce que je suis, ce ne fut que par elle
Qui a donné son port à mon visage heureux.
Encore en moi dormait le plus haut de l'esprit
Quand je la vis, sur moi, descendre comme un Ange ;
Et j'ai pris, à l'éveil, dans ses bras, mon envol.
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Novalis (1772-1801), Henri d'Ofterdingen
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