L'Ami

Qasai'd

Qasîda IV [sur les étapes, dans la voie de l'ascèse]

C'est le recueillement, puis le silence ; puis l'aphasie et la connaissance ; puis la découverte ; puis la mise à nu. Et c'est l'argile puis le feu ; puis la clarté et le froid ; puis l'ombre ; puis le soleil. Et c'est la rocaille, puis la plaine ; puis le désert, et le fleuve ; puis la crue ; puis le dessèchement. Et c'est l'ivresse, puis le dégrisement ; puis le désir, et l'approche ; puis la jonction ; puis la joie. Et c'est l'étreinte, puis la détente ; puis la disparition et la séparation ; puis l'union ; puis la calcination. Et c'est la transe, puis le rappel ; puis l'attraction et la conformation ; puis l'apparition ; puis l'investiture. Phrases, accesibles à ceux-là seuls pour qui tout ce bas monde ne vaut pas plus qu'un sou. Et voix de derrière la porte, mais l'on sait que les conversations des hommes, dès que l'on se rapproche, s'assourdissent en un murmure. Et la dernière idée qui se présente au fidèle, en arrivant à la barrière, c'est «mon lot» et «mon moi». Car les créatures sont serves de leurs inclinations, et la vérité, sur Dieu, quand on Le constate, c'est qu'Il est saint !

Qasîda XI [sur l'invisibilité magique]

Ah ! que des fois nous nous sommes évadés d'entre les formes visibles, grâce à une simple goutte, brillante comme la lune, goutte de sésame, d'huile de sésame, avec des caractères inscrits et du jasmin lié sur notre front. Vous marchez, nous marchons et nous apercevons vos silhouettes, mais vous, vous ne nous voyez pas, gens arriérés.

Yatâma

Yatima II

J'ai renié le culte dû à Dieu, et ce reniement m'était un devoir, alors qu'il est pour les musulmans un péché.

Yatima III

Je leur dis : mes amis, Elle, c'est le soleil ; sa lumière est proche, mais pour l'atteindre, qu'il y a loin !

Yatima V

La condition, pour recevoir les dons de la sagesse, c'est d'annihiler tout ce qui vient de toi, vu que le novice a au début un regard sans pénétration.

Muqatta'at

Muqatta'a I

Quelle est donc la terre si vide de Toi pour qu'ils se redressent, Te recherchant dans les cieux ? Et Tu les vois, qui regardent vers Toi en apparence, mais ils ne T'aperçoivent pas, dans leur aveuglement.

Muqatta'a X

J'ai vu mon Seigneur avec l'oeil du coeur, et Lui dis : «Qui es-Tu ?» Il me dit «Toi !» Mais, pour Toi, le «où» n'a plus de lieu, le «où» n'est plus, quand il s'agit de Toi ! Et il n'y a pas pour l'imagination d'image venant de Toi, qui lui permette d'approcher où Tu es ! Puisque Tu es Celui qui embrasse tout lieu, jusqu'au-delà du lieu, où donc es-Tu, Toi ?

Muqatta'a XI

J'ai à moi un Ami, je le visite dans les solitudes, présent, même quand il échappe aux regards. Tu ne me verras pas Lui prêter l'oreille, pour percevoir son langage par bruit de paroles. Ses paroles n'ont ni voyelles, ni élocution, ni rien de la mélodie des voix. Mais c'est comme si j'étais devenu l'interlocuteur de moi-même, communiquant par mon inspiration avec mon essence, en mon essence. Présent, absent, proche, éloigné, insaisissable aux descriptions par qualités. Il est plus proche que la conscience pour l'imagination, et plus intime que l'étincelle des inspirations.

Muqatta'a LVII

-Je suis devenu Celui que j'aime, et Celui que j'aime est devenu moi ! -Nous sommes deux esprits, infondus en un corps. -Aussi, me voir, c'est Le voir, et Le voir, c'est nous voir.



Dîwân
Husayn Mansûr Hallâj (857-922)
(traduction de Louis Massignon)




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