Graine



Ce qui parle pas,
je l’écoute.

Ce qui n’a pas lieu
je le retrouve dans
son lieu.

Ce qui tombe,
je me retiens à son assise.

Je vois vivre
tout ce qui meurt.

Je disparais
avec ce qui demeure.


*


Donnez-moi ce matin, ces heures
encore du petit matin
quand tout commence, donnez-moi, je vous prie,
ce mouvement léger des branches,
un souffle, rien de plus,
et que je sois comme quelqu'un
qui se réveille dans le monde et qui ne sait
ni ce qui vient ni ce qui va
mourir, donnez-moi
juste un peu de ciel, ou ce caillou.


Le jour à peine écrit (1967-1992), 2006


*


Ne garderai-je du jour que cette longue lassitude et la poussière des chemins au fond des yeux ? Je m'assiérai n'importe où, je tenterai seulement de reprendre souffle, sans hâte et comme pour mieux me souvenir. L'espoir, quand on s'arrête de marcher, devient inutile, mais le vieux désir d'être encore ne disparaît pas avec lui. Et je suis là, comme quelqu'un qui s'étonne que son corps le soutienne et le défende, ce corps meurtri, ce corps appesanti, le mien pourtant, et que je méprisais. Les grandes lois du soleil et de l'ombre nous échappent, nous mesurons l'espace aux battements d'un coeur quand il est neuf, mais que la machine au-dedans hésite ou s'emballe, les repères se dissipent et chaque pas devient une épine dans la chair. N'importe, je suis là, je regarde mes mains, je n'oublie pas qu'elles ont touché la splendeur intacte du monde et qu'il y eut des moments d'allégresse à sentir la sève trembler sous les doigts. Non, la mémoire ne se résume nullement à la somme des choses mortes entassées dans la tête. Elle est tapie au creux d'une odeur, d'une feuille froissée par la pluie, d'un murmure. Et que l'on fasse taire en soi le bruissement de la pensée, qu'on s'arrache à ce théâtre de mauvais rêves, le paysage se recompose, les formes s'animent, les couleurs recommencent à vibrer. Rien ne bouge pour celui qui se détourne, tout s'éveille au-devant de celui qui reste à l'écoute et il ne craint plus. On cherche à l'endroit d'une ancienne blessure, et c'est à peine si la peau tressaille. Et c'est à présent l'immobile qui devient une fiction, et cette lassitude d'avoir tant vécu comme une invitation à poursuivre encore.


La mort à distance, 2007


*


J’ai dit non à l’orgueil. J’ai dit : il faut que tout mon corps écoute.

Ce jardin est
mon corps. Pierres du
premier jour, répondez-moi.
J’ai dit : hors du sommeil, l’autre n’a pas trahi, la terre ultime.
Ô zénith sur les
........................arbres, exauce-moi.
J’ai pris mon nom. Je l’ai couvert de brume et de silence.
J’ai déchiré ce qui
.............................restait de doute entre mes doigts
J’ai attendu le soir. J’ai disparu, graine parmi les graines.


Conjoncture du corps et du jardin, 1983


Claude Esteban (1935-2006)


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